Graphisme

Cécile K au Graphisme

Où Cécile K. parle de notre rencontre, de son rapport au graphisme, de son lien à la folie, de notre collaboration pour Barge et des enjeux de maquette:

Janvier 2020

« Hélo et moi, on se rencontre il y a maintenant une dizaine d’années, au Kiosk, une librairie associative et militante à Toulouse. Un chouette cocon dans lequel je m’investis, quelques années après Hélo. Dans ce lieu, elle monte un infokiosque autour des problématiques antipsychiatriques et organise des projos sur le sujet. Je suis encore très jeune, et le fait de me confronter à ce sujet me brasse sacrément, comme si ça faisait des années que je cherchais à pouvoir causer de psychiatrie avec des gens et que j’avais enfin trouvé des interlocuteurs. Hélo et moi, avec quatre autres potes, on se verra quelques fois pour discuter de notre rapport à la folie, et à celles du monde qui nous entoure. Ces discussions me trottent encore en tête et marqueront mon « parcours » personnel et politique.

Quelques années plus tard, je pars m’installer à Marseille, et me voilà devenue graphiste, après des études pas franchement excitantes aux Beaux Arts de Toulouse. Je n’ai jamais vraiment voulu vivre du graphisme. En me spécialisant – à base de bidouilles – dans ce domaine, j’y vois surtout l’occaze de me mettre au service de collectifs politiques aux codes graphiques parfois bien figés et poussiéreux (avec tout l’amour que je leur porte par ailleurs). Comment rendre audibles, accessibles, lisibles, et attrayantes, nos messages politiques : voilà quelques unes des questions qui animent mon envie de faire du graphisme.

Je me suis alors lancée dans la création de revues et de brochures, dans une production d’affiches quasi quotidienne sur des sujets divers et variés pour occuper les murs des rues bien ternes et aspetisées que je traverse. Et puis, depuis quelques années, je suis en charge de la maquette du journal CQFD dans lequel j’écris aussi de temps en temps. L’occasion pour moi de développer une identité graphique forte pour un canard qui montre toujours les crocs après 17 ans d’existence.

Il y a un an, ma copine Hélo me parle de son projet de bouquin. Au travers des papotes qu’on a eu quelques années auparavant, je connais (un peu) son histoire. Rares sont ceux qui « reviennent » et peuvent parler de leur folie de la sorte, encore moins la politiser et créer du commun autour. Avec ce projet, je vois la nécessité de sortir du storytelling pour parler de folie droit dans les yeux, sans détour, permettre au lecteur de comprendre (un peu mieux) ce que peut recouvrir une bouffée délirante, le tsunami émotionnel que ça implique pour la personne qui le vit, les émotions et le désarroi que ça provoque dans l’entourage, et les moyens avec lesquels répond l’institution psychiatrique.

Même si je connais Hélo et des bribes de son histoire, je me prends tout ça dans la gueule à ma première lecture du manuscrit de Barge. C’est clair, je veux me retrousser les manches avec elle, et être à la hauteur de la confiance qu’elle me porte pour l’aider à mettre en forme et en image ce récit. Avant même que le bouquin n’existe, j’imagine déjà les papotes collectives qu’il peut susciter, les solidarités et les rencontres qu’il peut créer et c’est foutrement excitant !

Comme c’est excitant de se dire qu’on va apprendre ensemble à faire quelque chose qu’on a jamais fait : je n’avais jamais maquetté un livre et participé à un projet graphique qui me brasse autant et Hélo n’avait jamais vraiment remis le nez dans ces carnets ni sorti de livre.

Pour y arriver, il fallait définir un plan d’attaque. De son côté, il s’agissait d’avancer sur le texte, le séquençage et la sélection de toutes les illustrations qui viendraient accompagner, aérer et appuyer le récit. En somme, créer une iconographie, par chapitre, dans laquelle je pourrais piocher à ma guise, mais toujours en collaboration avec elle. De mon côté, il fallait que je pense une charte graphique qui me permettrait de différencier les différents niveaux de lectures sans que ça ne coupe le rythme : ses carnets, l’apparition des voix, les mots de l’extérieur (ses proches, sa famille et l’institution psychiatrique) et enfin sa voix d’aujourd’hui, celle qui fait le fil de son histoire.

Plus largement, l’enjeu de la maquette de Barge était de taille : il ne fallait surtout pas qu’elle écrase ou prenne le pas sur les mots, sur l’intimité du récit. Comme je ne voulais pas qu’elle soit trop foutraque ou loufoque sous prétexte qu’on parle de folie, de bouffée délirante. J’ai toujours pensé cette maquette au service des mots et du message que porte ce livre tout en y apportant ma touche graphique, mon interprétation visuelle de moments de la vie d’Hélo. Par ailleurs, Hélo et moi, on a été façonné par l’univers des brochures, des zines, et je voulais aussi que ça se ressente dans cette maquette : par sa simplicité, par le soin apporté à l’iconographie et la typographie et enfin, par l’accessibilité de son prix.

Ce qui est sur, c’est que j’ai pris un plaisir immense à construire ce livre avec ma potesse et que je me réjouis des réactions qu’il suscite chez les personnes qui le tiennent dans les mains ou se le prennent comme moi, en pleine figure ! »